« L’homme veut voir des yeux et connaître des oreilles ce qu’il porte dans son esprit. Et c’est ainsi que je me montre sur scène ». C’est par ces mots que Paul Claudel met dans la bouche de Lechy qu’on entre de plein pied dans le sujet. Une mise en abîme qui donne dès le début un regard particulier sur ce qui va se passer sur scène. Avec cette pièce qu’il a écrit à 25 ans, alors qu’il était vice-consul de France à New-York puis à Boston, Claudel est moins catholique mais tout aussi provoquant. L’Echange, c’est la plus dépouillée de ses pièces. C’est quatre personnages et quatre caractères radicalement différents. Avec sa mise en scène, Yves Beaunesne n’a pas craint d’aller jusqu’à la caricature.
On est quelque part sur une riche propriété de la côte est des Etats-Unis. Il y a Thomas Pollock Nageoire, un homme d’affaire pur et dur qui a appris que l’argent pouvait tout, que ce n’était qu’une histoire de prix. Avec son Stetson vissé sur la tête façon JR de Dallas, il incarne avec cynisme toute la brutalité d’un libéralisme à tout crin, en clamant « Béni soit Dieu qui a donné le Dollar à l’homme! ». Evidemment Claudel ne pouvait s’empêcher de mêler Dieu à tout ça, même si c’est ici d’une étrange … La femme de Thomas Pollock, Lechy, est une star Hollywoodienne à une époque où Hollywood n’existe pas encore. C’est Marilyn Monroe avant l’heure, alcool compris. Louis est un jeune métis indien venu garder la propriété. Il est peu paumé, engagé dans une quête de liberté qui le livre aux influences qu’il rencontre. Et il y a enfin Marthe la pure et innocente amoureuse qu’il a ramené du vieux continent. Claudel explique que ce n’est « que les quatre aspects d’une seule âme qui joue avec elle même aux quatre coins ». Peut-être parle-t-il de la sienne. « Je me suis peint sous les traits d’un jeune gaillard qui vend sa femme pour recouvrer sa liberté. J’ai fait du désir perfide et multiforme de la liberté une actrice américaine, en lui opposant l’épouse légitime en qui j’ai voulu incarner la passion de servir. ». C’est en effet un jeu croisé entre les deux couples : Thomas Pollock propose à Louis de lui « échanger » Marthe contre une poignée de dollars, pendant que Lechy joue sadiquement avec Marthe en séduisant Louis. La collision est frontale entre l’argent et l’amour, entre la pureté et la corruption, entre les anges et les démons. C’est presque un Western. Tout cela finira inévitablement mal.
En forçant le trait, Yves Beaunesne accentue le symbolisme de la pièce. Chaque comédien incarne un caractère épuré. Une situation que les pousse à jouer sans aucune réserve. On arrive ainsi à des instants d’une remarquable intensité. Et puis, le texte fait le reste. Loin des fameux versets Claudéliens, cette soirée était une excellente occasion de se réconcilier avec Claudel.