Comment se sont passés les représentations de La fuite à Tarbes quelques semaines après l’avoir monté chez vous à La Criée de Marseille ?
Je brûle d’être avec ma troupe à Tarbes, mais je suis restée à Marseille car c’est important d’être dans mon théâtre pour accueillir les artistes pour les moments importants, comme la première ou la dernière. J’ai eu de très bons échos des représentations à Tarbes. Mardi soir je n’attendais que ça ! Mon assistante m’a appelé à l’entre-acte pour me dire que ça se passait très bien au Parvis. J’aime beaucoup ce théâtre, j’aime beaucoup les personnes qui dirigent ce théâtre parce qu’il y a vraiment une conviction, une sincérité. Une fidélité aussi. Ils suivent vraiment les artistes, ils ne font pas des coups et c’est vraiment formidable.
Cette pièce de Mikhaïl Boulgakov met en scène les perdants de la révolution russe, des révolutions russes. L'avez-vous mis en scène comme une réponse aux vainqueur historiques ?
Non, pas du tout car il est bien au-dessus des rouges et des blancs. Ce qui m’a plus dans l’approche qu’il a de ses personnages, c’est qu’il va du côté des vaincu. Il est subversif dans une époque où on était dans la célébration de l’homme nouveau, de l’homo sovieticus. Il dit regardez le monde est absurde, il y a une partition absurde, le monde périt et je suis du côté des vaincus, de ceux qui ont tout perdu et de ceux qui en deviennent fou. Ce n’est pas un tableau très reluisant, tout vole en éclat ! C’est ce que j’ai toujours aimé montrer au théâtre, les déclassés, ceux qui sont sur la coté parce qu’ils n’ont jamais rien obtenu ou qu’ils ont perdu quelque chose. Boulgakov nous parle ce que se passe dans l’être humain quand c’est l’exil, quand il est dans de dénuement et qu’il est poussé dehors. C’est un très grand sujet universel qui a évidemment un écho à chaque époque
Est-ce plus complexe de monter cette fuite quand on s'appelle Makeieff ?
Je ne pense pas que ce soit plus complexe, mais il y a plus d’enjeux. Je ne pouvais pas le monter non fiévreuse. Très sincèrement, c’est probablement le spectacle le plus important de ma vie parce il se joue quelque chose de la vérité de mon existence et de celle des gens que j’ai connu. La pièce m’autorise a faire le mouvement de retrouver ceux qui m’ont élevé. Petite fille, on m’a placé chez mes grands-parents qui étaient des russes blancs. J’ai vu les personnages de La fuite et j’ai retrouvé mes grands-parents qui ont fait exactement le même chemin. J’ai l’impression de pouvoir m’assoir et les regarder parce que je les connais. Rugueux, un peu dérangés, pas vraiment à leur place, mais je les ai aimés immédiatement et je savais comment ils fonctionnaient. C’est le génie de Boulgakov, une étude de caractère et des personnages comme je les ai connus, comme je les ai aimés profondément.
Le ton vaudevillesque de la mes est une réponse à la dramatique de la situation de ces russes blancs ?
Oui, je crois que la vie quand elle est dramatique, elle se lit comme un vaudeville. Boulgakov adore passer d’un registre à l’autre. La aussi il est subversif, en faisant éclater les règles de l’art. Il passe du drame dostoïevskien à Gogol, au théâtre satirique de Moscou. Et dans la rythmique de la langue et des répliques, on entend bien la musicalité du vaudeville parfois. Le songe 7, la partie de cartes, a été long et difficile à monter car son on ne restait pas dans mouvement et dans le rythme du vaudeville, la scène s’effondrait immédiatement. Il fallait écouter la musique de son texte pour savoir dans quel registre de théâtre on était. Un travail de précision comme de la musique, si on rate une triple croche ça ne tient plus debout. Il fallait des acteurs assez virtuoses pour passer d’un registre à l’autre avec autant de rapidité et de précision.
Presque 10 ans depuis Salle des fêtes. On ne verra plus les noms de Jérôme Deschamps et le vôtre associé à la scène ?
Je ne sais pas du tout. On se disait encore très peu de temps qu’on aimerait remonter Lapin Chasseur sans que ce soit la résurrection d’une ancienne troupe, mais en réinventant cette mécanique dramatique formidable. Jérôme aimerait qu’on reprenne des choses comme C’est magnifique. Mais j’ai un peu une autre histoire depuis, une forme d’émancipation de ce qui était fusionnel chez nous. On peut faire des choses ensemble, mais il faut que ça ait du sens, pour tous les deux, au moment ou on le fait. Lapin Chasseur ça en aurait.