Après « Mademoiselle Julie » et « La danse de mort », le théâtre Sfumato termine sa trilogie Strindberg en faisant des trois tomes du « Voyage à Damas » un voyage dans la peau de d’August Strindberg. Une pièce dont Arthur Adamov disait que « tous les personnages sont à la fois Strindberg lui-même, et ceux avec qui la vie l’a mis aux prises. Le spectateur est ballotté au milieu d’une foule de doubles et de demi-doubles, de jumeaux et de demi-jumeaux, dont les entrecroisements lui échappent en grande partie. A cause de cela sans doute, Le chemin de Damas a peu de chances de succès ». Lourde sanction ! Georgi Tenev et Ivan Dobchev ont relevé le défi et réussi à faire de cette introspection, une riche déambulation dans l’œuvre de Strindberg.
Ca commence dans le lit conjugal qu’il partage avec la dernière de ses trois épouses, de trente ans plus jeune que lui. Un départ qui n’est pas anodin quand on connaît la lourde réputation de misogyne de Strindberg. Il suffit de rappeler qu’il a écrit « De l’infériorité de la femme » pour en être convaincu ! Alors qu’il est en pleine lune de miel, il apprend que Dagny Juel, avec laquelle il avait eu une brève relation quelque année auparavant, a été assassinée par un jeune amant éconduit. Et c’est le début d’une espèce de road movie théâtral qui va nous mettre aux prises avec un Strindberg vieillissant qui jette un regard plein de remord et de nostalgie sur son passé. Par un jeu d’écrans et de projection vidéo, la mise en scène d’Iban Dobchev et de Daniela Oleg Liahova restitue physiquement les couches successives qui composent cette introspection. La lumière et la musique complètent une atmosphère qui oscille entre rêve, délire et réalité. Le résultat est riche et complexe, comme peut l’être Strindberg lui-même. C’est déjà beaucoup. Quand en plus, il faut lire le texte particulièrement abondant qui défile au dessus des comédiens qui jouent en bulgare, on commence à ne plus savoir ou donner de la tête. C’est peut-être la couche qui fait déborder le spectateur, qui risque d’atteindre la surcharge. Un beau spectacle d’où on sort donc un peu frustré de n’avoir pu en en saisir toute l’étendue.
La succession des trois pièces aura été une belle façon de découvrir et d’explorer l’œuvre de Strindberg. Le spectateur suit « Le chemin de Damas » en ayant à l’esprit « La danse de mort » et « Mademoiselle Julie » qu’il a vu les soirs précédents. Une belle aventure qui aura aussi permis de montrer la qualité du travail du théâtre Sfumato. Les tarbais auront eu le privilège de l’apprécier en primeur avant qu’ils n’aillent à Paris pour le présenter dans le cadre du prestigieux Festival d’Automne.
Stéphane Boularand