Qu’on se rassure tout de suite, le drame n’était pas dans le centre commercial mais sur la scène de la Scène Nationale. L’orage, celui d’Alexandre Ostrovski monté au Théâtre des Bouffes du Nord il y a à peine plus de deux mois était à Ibos dimanche après-midi et lundi soir. Une pièce écrite quelques mois avant la naissance d’Anton Tchekhov, qui jette déjà un regard sans complaisance sur le pouvoir des hommes sur les hommes et sur une société russe prise dans les tumultes de l’histoire avec la suite qu’on connait. Avec l’Orage, c’est le tumulte des hommes électrisé par le tumulte du ciel. Une tragédie en bonne et due forme qui se déroule sur les rives de la Volga dans une petite ville que d’aucun qualifierait de ville de province. Une petite société verrouillée par deux patriarches qui n’existent plus que par la tyrannie qu’ils font vivre aux leurs. Ni la beauté, ni la spontanéité, ni la passion n’ont leur place dans ce monde et tout ça est voué à se fracasser sur le mur des conventions qui se justifient par elles-mêmes. Pire, toute cette jeunesse sent la subversion qu’il convient de piétiner soigneusement de peur de les laisser remettre en cause les fondements de l’ordre. On est prévenu, tout ça finira au fond de la Volga.
C’est toute cette violence, celle du ciel qui met en lumière celle des hommes, que Denis Podalydès met en scène en s’appuyant sur l’adaptation de Laurent Mauvignier. Avec une scénographie d’Eric Ruf, lui aussi de la Comédie Française, faite de décors mouvant et d’une vue sur la Volga omniprésente tout au long du spectacle. Et que les douze comédiens servent avec beaucoup d’intensité. En particulier Cécile Brune, ancienne sociétaire de la Comédie Française, dans le rôle de Fekloucha et Philippe Duclos dans celui de Kouliguine. Sans oublier Laurent Podalydès. Deux heures et demie de tension, de coups de foudre, de passion qui vont finir inévitablement dans la Volga qui attend depuis le début imperturbablement que l’heure de la destinée sonne. Superbe.